Transformer ses pratiques alimentaires en restauration collective, c’est possible.

Tout au long de cette année 2024, nona vous propose un tour de France des cuisines engagées pour la transition alimentaire !

Cette semaine, rendez-vous dans la cuisine de la Cinéfabrique de Lyon. Mathilde Fouilland y est derrière les fourneaux depuis un an et propose une cuisine comme à la maison, alternative et innovante, pour ses 160 couverts quotidiens.

Sommaire :

Intégrer les enjeux sociaux et agricoles dans la formation culinaire

Une cuisine gérée comme une grande maison pour les commandes et menus

Inclure plus de repas végétariens à travers des repas mixtes en protéines

Un modèle de “cantine alternative” qui intègre les convives à la cuisine

Des solutions innovantes pour limiter au maximum le gaspillage alimentaire

Travailler avec nona pour une gestion optimale

Un dernier mot pour passer à l’action ?

Intégrer les enjeux sociaux et agricoles dans la formation culinaire

Mathilde Fouilland a commencé son parcours professionnel dans le secteur social, puis elle s’est formée en maraichage bio : “J’ai fait pas mal de métiers entre le social, l’agriculture, l’alimentation et la cuisine avec des expériences dans des petits restaurants de quartier mais aussi dans une exploitation en maraîchage qui était en même temps une entreprise d’insertion avec une conserverie artisanale. On faisait des conserves avec les excédents de production de notre exploitation mais aussi celles d’agriculteur·rices bio du territoire, qui n’ont pas le temps, les moyens techniques et les compétences pour transformer leur produit.”

Il y a maintenant un an, elle est devenue responsable de la cuisine de la Cinéfabrique. Elle y a repris le projet lancé sept ans auparavant par Sophie Imbert, qui est partie à Marseille pour gérer la cuisine de l'antenne de l'école, ouverte l'année dernière sur le même modèle. La Cinéfabrique est une école de cinéma publique et gratuite avec 150 élèves, composée d’un peu plus de 50% d’élèves boursier·ères. “Avec l’inflation autour de l’alimentation on a une exigence très forte autour de l’idée de leur offrir un repas du midi complet et équilibré.”

Une cuisine gérée comme une grande maison pour les commandes et menus

Mathilde gère sa cuisine comme s’il s’agissait “d’une grande maison avec 160 convives”. Elle prévoit ses menus 10 ou 15 jours à l’avance ainsi que les commandes. Pour constituer sa trame de recettes, elle regarde les mercuriales des producteur·rices avec qui elle travaille afin d’avoir une vision sur les légumes disponibles. “On a une approche de l’alimentation alternative, on ne fait pas vraiment de “menu” parce qu’on est sortis de l’idée de recettes. On fait plutôt un format de plat. En fait, je réagis en fonction des producteur·rices et des produits disponibles. Je fais aussi beaucoup les menus en fonction des retours qu’on me donne et du nombre d’élèves.” Comme il s’agit d’une école de cinéma, certains élèves sont par moment en tournage. Dans ces moments là, où les effectifs sont moins élevés, les repas peuvent être plus sophistiqués et à l’inverse, les repas sont plus simples à constituer et à servir. Ce sont les effectifs qui déterminent les menus.

Mathilde Fouilland ne travaille qu’avec des producteur·rices locaux. Cette volonté découle d’un fort engagement écologique avec l’idée de ne pas vouloir aller chercher des produits trop loin.  Pour ce faire, la cuisine travaille avec une coopérative SIQ de producteurs bio : “Ce sont des producteur·rices qui se sont regroupés sur le territoire pour pouvoir proposer une offre commerciale à la restauration collective et commerciale. Nous, on se fournit là bas pour tout ce qui est fruits, légumes, crèmerie donc fromage, lait, yaourt, crème fraiche… Tout ça ce sont des produits locaux, comme pour la viande. Pour ce qui est du pain, on a un accord avec le boulanger bio du quartier sur son pain de la veille, ce qui fait qu’on a un super pain bio à un prix raisonnable.” La coopérative de producteur·rices l’aide à centraliser ses achats : “Pour pouvoir offrir un service complet aux gens comme moi qui n’ont pas le temps de faire 50 commandes dans 50 endroits différents, ils ont un volet épicerie et là ils sont en partenariat avec la Biocoop, donc ça permet que je commande aussi chez eux de l’huile d’olive, du riz, enfin des choses qu’il n’y a pas en local.”

La cuisine utilise donc presque uniquement des produits bruts, évitant ainsi au maximum les produits transformés : “On fait tout nous-même, y compris nos bouillons, nos confitures, nos pestos… On n’a pas de produits surgelés non plus.”

Mathilde a fait les calculs : sur tous ses approvisionnements, la cuisine est à 98% de produits bio. Les 2% restants sont des produits qu’elle n’arrive pas à trouver chez ses fournisseurs habituels : “On fait quand même une cuisine du monde du coup j’achète des fois des produits dans des épiceries asiatiques ou orientales.”

Mathilde s’approvisionne aussi en local pour les légumineuses qui sont au centre de sa cuisine : “On a une cuisine dans laquelle la légumineuse est très forte. Sur cinq jours de menus, notre plan alimentaire c’est d’offrir deux menus végétariens. Du coup, on associe la légumineuse avec une céréale pour pouvoir avoir l’apport en protéine nécessaire.” On y retrouve donc la légumineuse sous plusieurs formes, dans les desserts comme les entrées ou plats.

Inclure plus de repas végétariens à travers des repas mixtes en protéines

Les deux repas végétariens sont complétés dans le plan alimentaire par deux repas mixtes, qui imbriquent apport en protéines végétales et animales. Mathilde explique que, par exemple, “pour une bolognaise on va mettre 60g de viande par personne au lieu des 120g recommandés, et on va ajouter des lentilles ou des haricots rouges. On va prêter attention à l’apport en protéines mais pas uniquement avec les 120g en protéine animale qu’on voit partout.”

Puis, un dernier repas “plus traditionnel” est proposé avec les 120g de protéines animales, comme des blanquettes ou du poisson. “On va prôner, à travers ce fonctionnement, le fait de mieux manger des viandes, pas moins de viande”.

Sophie Imbert et Mathilde Fouilland se sont connues au sein du mouvement des Cuisines Nourricières. Elles ont toutes les deux étaient formées à la cuisine végétale à travers ce dernier au sein duquel des chercheur·euses, cuisinier·ères, médecins, réfléchissent ensemble aux enjeux autour de l’alimentation durable.

“Ce sont de bon·nes conseiller·ères pour la restauration collective, afin d’aider les cuisinier·ères à cuisiner végétal pour répondre aux critères de la loi EGalim qui demande plus de végétarien alors que les cuisnier·ères n’ont pas la culture du végétal. Nous avec Sophie on l’avait par conviction.”

Il ne s’agit pas uniquement d’un mouvement végétarien mais d’un mouvement qui apporte des pistes de réflexion pour de meilleures pratiques en cuisine, en proposant notamment des formations.

Un modèle de “cantine alternative” qui intègre les convives à la cuisine

Le modèle de cantine, créé par Sophie Imbert et qui va être perpétué à Marseille, s’articule autour de l‘inclusion des élèves à la cuisine pour les faire participer à la production de leur repas. “Dans leur emploi du temps d’étudiant, il y a des temps qu’on appelle “Les pluches”, le matin de 8h à 9h moins le quart, donc trois quarts d’heure, où à tour de rôle tout au long de la semaine, ils viennent nous aider à la cuisine.” Ces temps de “pluche” correspondent à trois semaines par an sur leur emploi du temps : “Pour eux c’est pas énorme mais nous, tous les matins, on sait qu’on a six étudiant·es qui viennent avec nous en cuisine. Tout le modèle de la cuisine repose là-dessus. On fait cette cuisine par ce qu’on sait qu'on peut se permettre de travailler avec des produits frais grâce à ça. Je connais pas beaucoup d'établissements de restauration collective qui travaillent des épinards frais, nous on peut le faire.”

L’équipe en cuisine est initialement composée de quatre personnes, dont un apprenti. Les élèves apprécient beaucoup ces temps. Mathilde confectionne ses menus en fonction de cette main d’oeuvre supplémentaire : si elle ne voit pas suffisamment de monde le matin sur les temps de “pluche”, elle réduit alors les ambitions des recettes du jour : “Si eux ne viennent pas le matin, nous on peut pas faire cette cuisine là, ce n’est pas que pour faire joli. Une fois on a affiché devant la cuisine “Pas d’élèves ce matin, pas de salade de fruits”, parce qu’aucun·e élève ne s’était réveillé. On a juste déposé les fruits bruts du coup.”

D'après elle, toutes les structures cuisinant pour des personnes capables de participer à la préparation des repas, devraient adopter ce mode de fonctionnement : “Dans tous les lieux où c'est possible, avec des personnes en état d’aider, évidemment on va pas faire ça dans des hôpitaux par exemple, ce système devrait être mis en place. C’est un choix politique. Quand les élèves s’inscrivent à l’école, on leur parle de ça, on leur explique. On a une super cantine et les élèves en font partie quoi.”

L’école a aussi un potager où poussent des aromates. Elle souhaite aussi que soient plantés des arbres fruitiers et des haies. Le projet est que toute l’école soit végétalisée et toute la cour débitumée. “Bien sur on ne sera pas autonomes, on ne peut pas produire tout nos légumes parce que ce n’est pas notre métier. Mais l’idée c’est que les jeunes puissent voir comment ça pousse, comment ça fonctionne.”

Des solutions innovantes pour limiter au maximum le gaspillage alimentaire

Mathilde prête attention au sujet du gaspillage alimentaire. L’école possède un compost. “Tous les déchets de pluches sont compostés mais on n’a pas beaucoup de déchets de pluches parce que tous les jours, ils sont utilisés pour les bouillons de cuisson qu’on prépare aussi nous même.”

Avoir les élèves dans la cuisine le matin, permet aussi de leur montrer sur chaque légume ce qui est utilisé dans la restauration commerciale où sur un poireau, seulement la moitié est utilisée : “Nous on leur montre qu’on utilise tout le poireaux et tout ce qu'on peut ne pas éplucher, on ne l’épluche pas.” La sensibilisation passe ainsi par ce levier.

En ce qui concerne le gaspillage en lui-même, le niveau de faim des élèves est demandé au moment du service afin de servir les bonnes portions. Le pain est aussi posé en libre service, pour que les élèves puissent se servir selon leurs envies. Le gaspillage qui était déjà faible, a bien réduit grâce à ça. A la fin du repas, les étudiant·es passent par une table de tri. Les restes alimentaires sont pesés et les chiffres sont exposés sur un tableau dans le réfectoire chaque mois, avec la moyenne du gaspillage nationale comparée à la leur dans un esprit de sensibilisation afin de pousser les élèves à moins jeter.

Toujours dans l’optique de ne pas gaspiller les restes alimentaires, les élèves ont la possibilité de récupérer pour leur repas du soir les surplus de production du repas du midi : “On a mis en place un protocole où tous les nouveaux·elles élèves signent une décharge et ont la possibilité de déposer une boite à leur nom que l’on remplit en fin de service si les restes n’ont pas subi de variation de température dangereuse. On les place dans un frigo à part et ils récupèrent leur boîte pour avoir à manger le soir.” Les normes HACCP en restauration collective imposent de nombreux critères, la décharge signée par les élèves permet donc de protéger l’équipe en cuisine en les déresponsabilisant une fois que la nourriture a quitté l’école. “Pour nous c’est satisfaisant, pour eux c’est un repas le soir, et avec ce système en place, la cuisine ne jette vraiment quasiment rien.”

Grâce au mouvement des Cuisines Nourricières, la cuisine reçoit des stagiaires et des personnes qui viennent découvrir son fonctionnement : “Nous on n’est pas avares là-dessus, si d’autres personnes veulent faire ça, on veut leur montrer. On diffuse comme ça, à travers ce réseau.” Un groupe Whatsapp a aussi été créé entre les cuisinier·ères du collectif, afin de pouvoir partager les bonnes pratiques de “cantines alternatives” qui sortent du modèle classique des cantines de restauration collective.

Travailler avec nona pour une gestion optimale

Mathilde n’avait pas besoin de nona pour l’aider à sa transition alimentaire ou pour avoir une cuisine plus végétale. La cuisine a aussi réussi à atteindre depuis longtemps les objectifs de la loi EGalim et va même au delà des attentes. Elle utilise nona purement pour la gestion de sa cantine : gestion de stock, fluidité de la gestion générale qui passait avant par un tableau Excel fait maison…

“J’utilise pas beaucoup la gestion de stock parce que, par définition, j’ai très peu de stocks, je fonctionne vraiment à flux tendu. En revanche, comme j’ai des produits qui coûtent cher parce que je travaille avec des produits de qualité, j’avais besoin de savoir combien me coûte chaque repas pour ne pas dépasser un certain coût matière. C’était ça que je demandais à l’outil et il m’apporte aujourd’hui des données fiables. Même si ça a pu être fastidieux au début, ça m’apporte une plus value au niveau de mon temps depuis janvier.”

Mathilde était consciente que s'adapter à un nouvel outil prendrait du temps, mais elle reste confiante pour la suite. Elle est aussi très intéressée par le projet de partage de recettes entre “cuisines qui cuisinent” que nona souhaite instaurer: "Je sais que nona est en lien avec certaines cuisines du réseau Cuisines Nourricières, je pense qu’il va se passer des choses, on va oeuvrer ensemble.”

Un dernier mot pour passer à l’action ?

Mathilde Fouilland a souhaité terminer l’entretien en mettant en avant le mouvement des Cuisines Nourricières : “C’est vraiment un collectif qui a révolutionné ma pratique de la cuisine. C’est tout un tas de clés très simples pour simplifier le travail des cuisinier·ères de la restauration collective, le rendre enthousiasmant et gagner du temps au profit du goût et de la créativité. C’est ça qui a révolutionné ma manière de cuisiner, en économisant sur le coût matière, les gestes, la cuisson de la viande plus douce pour économiser du poids…”

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